Son nom apparaît souvent dans des listes d’artistes ayant participé à la Commune de Paris. Il fait partie du fameux trio organisateur de la grande assemblée générale réunie à l’amphithéâtre de l’École de Médecine en avril 1871. Il cosigne avec Gustave Courbet, peintre, et Eugène Pottier, dessinateur industriel, l’appel aux artistes paru dans le journal officiel de la Commune le 6 avril pour préparer la réunion. Si Courbet est dans toutes les histoires de l’art, Hippolyte Moulin, sculpteur, est resté inconnu probablement en raison de ses positions esthétiques classiques. On peut cependant voir deux de ses œuvres au musée d’Orsay dont un grand marbre intitulé Un secret d’en haut exposé dans l’allée centrale réservée aux sculptures monumentales.
Hippolyte Moulin, né en 1832, a été l’élève de Barye, le célèbre sculpteur spécialiste des animaux, et de Ottin, passionné de théories sociales et qui sera lui aussi communard. Le jeune sculpteur vit d’abord de leçons d’anglais et d’allemand données à l’institut Favier avant de pouvoir signer des œuvres comme Le chasseur et la fourmi ou Trouvaille à Pompéi qu’il expose au Salon. Il y obtient d’ailleurs des médailles à quatre reprises en vingt ans de fréquentation assidue.
Une république de glace
C’est donc un artiste reconnu, qui fait partie de la Garde nationale, lorsque la république est proclamée en septembre 1870 après le désastre de Sedan. Pendant l’hiver et les longs tours de guet, il sculpte un buste de la République dans la glace. Il en reste une eau-forte de Félix Bracquemond, où l’on voit l’œuvre éphémère posée sur un haut socle de pierres ramassées aux alentours et dominant un fort enneigé. Le style réaliste de la figure, qui aurait pu rester allégorique, exprime la fierté des femmes du peuple engagées dans le combat républicain.
Habitant, comme Courbet, le 6e arrondissement, il est désigné en mai, avec Feyen-Perrin et Meyer pour veiller sur le musée de Cluny. Le Maitron précise qu’il « assura également avec Deblézer et Meyer la sauvegarde des céramiques et objets d’art de la manufacture de Sèvres ». Comme beaucoup, il se terre pendant la semaine sanglante. C’est à ce moment-là qu’Hippolyte Dubois peint un portrait de lui, fait rarissime qui montre le désir de laisser une dernière trace dans l’éventualité de leur disparition. Il est dédicacé « À mon ami Moulin, 21-23 mai 1871 »
Le dieu du commerce
Après la chute de la Commune, Charles Blanc, membre de l’Institut, est nommé directeur des Beaux-Arts.
Pendant sa fonction, jusqu’en décembre 1873, il acquiert ou subventionne les œuvres de onze peintres et sculpteurs de la Fédération des artistes dont Hippolyte Moulin. Dans un rapport au ministre de l’Instruction publique de Versailles, le 26 mai, il avait déjà précisé :
« Le musée céramique de Sèvres et les plus beaux produits de cette manufacture… ont échappé à la destruction par les soins de M. Haquette, agent-comptable de la manufacture, auquel ont prêté assistance M.M. Ottin et Moulin, statuaires ».
C’est probablement ce qui a sauvé Hippolyte Moulin de poursuites du genre de celles qu’a dû subir Courbet. Sa sculpture en marbre de Carrare, Un secret d’en haut de 1875, médaillée en 1878, acquise par l’État, a été placée dans le parc du château de Chantilly avant d’être mise à l’abri dans les musées. Elle nous renseigne sur les goûts de l’époque, et selon le Moniteur Universel du 29 mai 1875, elle « unit la grâce antique à l’esprit français ». On y voit le jeune Mercure, messager de Jupiter et dieu du commerce, reconnaissable à ses petites ailes, aux sandales et au diadème, chuchoter des confidences aux oreilles d’un satyre qui éclate de rire. Il serait utile de décrypter les significations comprises du public, par exemple, les ailes font partie de l’habillement du dieu et non directement de son corps visiblement étudié d’après le modèle vivant.
On peut aussi voir d’Hippolyte Moulin le buste de Leconte de Lisle au cimetière du Montparnasse (div. 17), et un buste en bronze d’Henri Monnier au théâtre de l’Odéon. Un buste de son maître Barye était visible au Père-Lachaise, mais il a été volé. Une sculpture de lui serait aussi à Collo près de Constantine en Algérie.
Ces commandes officielles et les contradictions afférentes l’amenèrent peut-être à la folie, et il mourut à l’asile de Charenton dans la fleur de l’âge à 52 ans.
EUGÉNIE DUBREUIL