1 -  Les événements du 22 mars.

Tout le mois de mars 1871, Marseille a été secouée de manifestations, de grèves et de revendications sociales. Mais la ville reste calme dans l’ensemble, tout en étant très attentive aux événements parisiens. Car Paris, pour les Marseillais, c’est la ville héroïque qui a résisté plus de cinq mois aux Prussiens qui l’assiégeaient, malgré la faim et le froid ; c’est la capitale de la nouvelle République dont on espère tant ; Paris qui, comme Marseille et d’autres villes, refuse les clauses honteuses du traité de paix récemment signé ! (1)

 

Marseille - La Préfecture photo vers 1870-1877
Marseille - La Préfecture photo vers 1870-1877

 

L’électrochoc des dépêches de Thiers

Et voilà que, le 22 mars, deux dépêches d’Adolphe Thiers vont mettre les Marseillais en émoi.

La première, publiée la veille, inquiète : le trans­port annoncé de l’Assemblée nationale à Versailles, où se rassemble aussi l’armée, menace Paris dans son rôle de capitale et à travers lui l’existence même de la République !

La seconde, arrivée le 22 mars et affichée sur les murs de Marseille, ajoute l’indignation à l’inquié­tude : elle annonce et justifie la remise en liberté de deux bonapartistes de la première heure, Eugène Rouher et le maréchal Canrobert, particu­lièrement détestés par les Marseillais. Le premier, ancien ministre de la Justice, fut, entre autres, à l’origine de la terrible loi instaurant la déportation politique, dont eurent à souffrir tant d’opposants et leurs familles. Le second avait secondé Napoléon III lors du coup d’État du 2 décembre 1851 et avait fait tirer sur la foule. Ce jour-là trois cents Parisiens périrent et des centaines d’autres furent blessés.

La peur de voir la monarchie rétablie met en alerte les Marseillais.

 Alphonse Esquiros vers 1869, photo format cabinet série Portrait-Album. Bibliothèque nationale de France
Alphonse Esquiros vers 1869, photo format cabinet série Portrait-Album. Bibliothèque nationale de France

 

Le 22 mars au soir : le discours de Gaston Crémieux enflamme les Marseillais.

Dans la grande salle de spectacle l’Eldorado, rue de la Darse, sur la rive nord du Vieux-Port, l’avocat révolutionnaire Gaston Crémieux et ses amis radi­caux ou membres de l’Association Internationale des Travailleurs (AIT) débattent avec un public nombreux. Ce grand orateur retrouve ses accents enthousiastes du mois d’octobre 1870 : pour gar­der à Marseille l’administrateur spécial du départe­ment, le grand républicain Alphonse Esquiros que venait de désavouer Gambetta, il s’était déjà écrié :

Le moyen est très simple, c’est la Ligue du Midi et la Commune révolutionnaire !

Le 1er novembre 1870, une première Commune s’était déclarée pour tenter de sauver ce début de république sociale, mais n’avait duré que trois jours et avait échoué : Alphonse Esquiros avait quitté la ville.

Et voilà Gaston Crémieux qui, ce soir, de nouveau, harangue la foule et dénonce :

Le Gouvernement de Versailles a levé sa béquille contre ce qu’il appelle l’insur­rection de Paris ! Mais elle s’est bri­sée dans sa main et la Commune en est sortie ! […] Quel est le gouver­nement que nous reconnaissons comme légal ? Versailles ou Paris ?

Et de tout côté l’auditoire lui répond :

Paris ! Vive Paris ! 

Un cri qui ne va cesser de résonner dans les rues de Marseille toute la journée du lendemain, car on décide d’aller manifester devant la Préfecture dès le matin sui­vant.

 

2 - Le 23 mars : les temps forts d’une journée révolutionnaire.

À 7 heures du matin, le préfet Cosnier bat le tambour et met le feu aux pou­dres. Pour contrer cette manifes­tation qu’il n’avait pas prévue, le tout nouveau préfet, le contre-amiral Cosnier, fait battre le rappel de la Garde nationale, contre l’avis plein de bon sens du maire et du conseil municipal. Mais, ainsi appelés dans la rue, les gardes nationaux des quartiers populaires (Endoume, La Belle-de-Mai, Menpenti) affluent et rejoi­gnent les milliers de manifestants qui crient leur soutien à Paris devant la préfecture.

 

Durant l’après-midi, la préfecture est envahie, le préfet est arrêté.

Gaston Crémieux, les conseillers municipaux et les représentants du comité républicain de la Garde natio­nale parlementent avec le préfet, qui résiste et refuse de prendre parti pour Paris. Au bout de quelques heures de surexcitation émaillées d’incidents, la foule excédée envahit le bâtiment. Le préfet, ses secré­taires, le général Ollivier et même le maire et trois conseillers municipaux sont arrêtés. Gaston Crémieux calme les esprits en allant serrer ostensiblement la main du préfet et fait libérer le maire. Puis il harangue la foule du balcon, l’exhortant au calme.

Charles Alerini entre 1879 et 1881- Numérisation Isabelle Alérini — Archives de la famille Alérini   Gaston Crémieux (1836-1871)   Paul-Emile Bouchet, source : assemblee-nationale.fr
Charles Alerini entre 1879 et 1881- Numérisation Isabelle Alérini — Archives de la famille Alérini / Gaston Crémieux (1836-1871) /Paul-Emile Bouchet (source : assemblee-nationale.fr)  

       

À 20 heures, une commission dépar­tementale provisoire est constituée ; son président, Gaston Crémieux, est acclamé.

Sous la pression de la foule qui continue à s’agiter, commencent alors d’intenses négociations pour assu­rer le nouveau pouvoir préfectoral, une Commune qui ne dit pas encore son nom. En attendant de nouvelles élections, il est décidé de constituer une com­mission départementale provisoire qui soit la plus représentative pos­sible. Elle est composée de 12 membres, équitablement répartis entre les représentants des forces en présence, chacune ayant dési­gné trois délégués :

  • pour les républicains radicaux du Cercle du Midi : Gaston Crémieux, Auguste Etienne, Joseph Job.
  • pour les républicains modérés du Conseil municipal : David Bosc, Eugène Desservy, Sidore.
  • pour l’AIT, réorganisée sous le nom discret de « Comité des réunions publiques » : Joseph Maviel, Charles Alérini, Firmin Guilhard.
  • pour le Comité républicain de la Garde nationale : Émile Bouchet, Barthelet, Charles Cartoux.

Gaston Crémieux est élu président.

Le préfet est ensuite prié de signer sa lettre de démission. Sur le moment, craignant pour sa vie, le préfet finit par accepter de le faire, ce qu’il regrettera d’autant plus par la suite qu’en réalité aucun des otages de la Commune révolutionnaire de Marseille ne sera exécuté, ni ce jour-là, ni par la suite. Le premier décret de la Commission, lu publiquement par Gaston Crémieux devant la foule qui l’acclame, précise nette­ment cette volonté de pas verser le sang.

 

Ainsi, sans s’en donner le nom, la Commune de Marseille est ressuscitée, « pour veiller sur la République ».

Les journaux ne s’y trompent pas : la Commune de Marseille débute bien ce 23 mars, même si durant les 13 jours où elle se maintiendra, tous ses actes et déclarations porteront la signature de la Commission départementale provisoire ou de son président. Très hétérogène et rapidement divisée, sans moyen vérita­ble d’exercer son pouvoir, elle va très rapidement connaître de graves difficultés (2).

 

CHANTAL CHAMPET

 

Sources :

Prosper-Olivier Lissagaray, Histoire de la Commune de 1871, chap. X, E. Dentu, Paris, 1896.

 

Notes

(1) voir, sur le site commune1871.org, dans l’éphéméride : « 6 au 18 mars : la province en mouvement(s) » :

https://www.commune1871.org/la-commune-de-paris/histoire-de-la-commune/commune-1871-ephemeride/1145-commune-1871-ephemeride-6-au-18-mars-1871-la-province-en-mouvement-s

(2) https://www.commune1871.org/la-commune-de-paris/histoire-de-la-commune/dossier-thematique/les-communes-en-province/594-la-commune-de-marseille-23-mars-4-avril-1871

 

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