LA COMMUNE DE PARIS À L’ORIGINE DE LA TRADITION ÉDUCATIONNISTE

Bien avant Paul Robin (1837-1912) à Cempuis ou Sébastien Faure (1858-1942) dans son école liber­taire La Ruche, les communeux s’intéressèrent et innovèrent en matière d’éducation s’inspirant plus ou moins direc­tement de la tradition révolutionnaire de 1789 et du rapport de Condorcet (1743-1794) qui visait à mettre en place une éducation du peuple pour le peuple et par le peuple. Ainsi la Commune précéda à la fois l’école de Jules Ferry (1832-1893) et les expériences libertaires.

Néanmoins, la Commune n’inventa pas tout, elle s’inspira sans aucun doute de réflexions antérieures. Tout d’abord, du Programme d’enseignement de l’as­sociation fraternelle des instituteurs et institutrices et professeurs socialistes de 1849 rédigé par Pauline Roland (1805-1852), Gustave Lefrançais (1826-1901), un dénommé Pérot et des conceptions fou­riéristes — qui inspirèrent aussi Pierre-Joseph Proudhon (1809-1865) — et mise en forme par Victor Considérant (1808-1893) en 1864 dans sa Théorie de l’éducation naturelle et attrayante dédiée aux mères. Mais aussi peut-être eurent-ils connais­sances des textes de 1869 de Paul Robin L’éducation intégrale ou encore de Bakounine Les Endormeurs. Très probablement certains communeux avaient en tête les résolutions sur l’enseignement intégral des congrès de l’Association internationale des travail­leurs de Lausanne en 1867 et de Bruxelles en 1868.

Tradition éducationniste, salle d’études de La Ruche - Le Patia, Rambouillet (Carte postale ancienne)
Tradition éducationniste, salle d’études de La Ruche - Le Patia, Rambouillet (Carte postale ancienne)

Aussitôt après les élections, la Commune mit en place une Commission de l'enseignement qu’elle confia au blanquiste Édouard Vaillant (1840-1915) et où siégèrent Jules Vallès, Gustave Courbet, Jean-Baptiste Clément pour les plus connus. Dans les principes, l'urgence est de transformer l'enseigne­ment religieux en enseignement laïque. Ainsi, la Commune répond favorablement à la requête de la société de l’Éducation nouvelle du 26 mars 1871 (paru au JO du 2 avril 1871) et qui commence ainsi :

« À la Commune de Paris,

Considérant la nécessité qu’il y a, sous une république, à préparer la jeunesse au gouverne­ment d’elle-même par une éducation républi­caine qui est toute à créer.

Considérant que la question de l’éducation, laquelle n’est exclusive d’aucune autre, est la question mère, qui embrasse et domine toutes les questions politiques et sociales, et sans la solution de laquelle il ne sera jamais fait de réformes sérieuses et durables [...] »

Fort de ses intentions, la Commission de l’en­seignement, relayée et parfois devancée par les initiatives populaires, prit de nombreuses résolu­tions et fit, bien avant les lois Ferry, de la laïcité et de la gratuité de l’école, les principes fonda­mentaux de la nouvelle école garantie pour la totalité des enfants, garçons ou filles. Pour ce faire, on supprima tout subside public aux écoles religieuses et on déconfessionnalisa l’enseigne­ment.

En ce sens, la société de l'Éducation nouvelle exi­gea :

[…] Que l’instruction religieuse ou dogmatique soit laissée tout entière à l’initiative et à la direction libre des familles, et qu’elle soit immédiatement et radi­calement supprimée, pour les deux sexes, dans toutes les écoles, dans tous les établissements dont les frais sont payés par l’impôt [...] Qu’il n’y soit enseigné ou pratiqué, en commun, ni prières, ni dogmes, ni rien de ce qui est réservé à la conscience individuelle [...]. Exigence absolue afin de « veiller à ce que l’enfant ne puisse à son tour être violenté par des affirmations que son ignorance ne lui permet point de contrôler ni d’accepter librement » (1).

En matière d'éducation, la Commune ne se contenta pas de beaux discours et de courageuses résolutions, elle fit aussi oeuvre de nombreuses réa­lisations : ouverture d’une école dans le IXe arrondis­sement, de cantines dans le VIIIe pour les enfants nécessiteux, fournitures scolaires gratuites dans le IIIe, projet de crèches ou d’orphelinat. Elle relança l’idée d’enseignement professionnel détruit par la loi Le Chapelier en 1791. Elle ne délaissa pas non plus l’éducation des adultes : ouverture de la Sorbonne, fondation de bibliothèques et surtout éducation du peuple par le peuple dans les nombreux clubs d’hommes et de femmes dans les églises parisiennes réquisitionnées.

Mais le projet communard a aussi quelques limites sans doute du fait de sa courte vie. En effet comme le remarquait Paul Chauvet (1900-1984) dans la revue La Rue (2) :

« L'organisation scolaire ancienne dis­paraissait, mais la pédagogie [autoritaire] restait la même »

avec le risque d’un retour de la domination d’abord des maîtres voire d’autres acteurs issus de la Commune elle-même.

Afin de limiter ce risque d’une prise de pouvoir sur le peuple, des intellectuels en particulier, Bellanger dans Le Vengeur du 8 avril 1871 souhaitait

« qu’un manieur d’outil puisse aussi lire et écrire un livre […] sans pour cela se croire obligé d’abandonner l’étau ou l’établi ».

Enfin le projet d’éducation communard se récla­mait d’une approche scientifique. Ainsi un manifeste issu du XVIIe arrondissement préconisait :

« l’emploi exclusif de la méthode expérimentale ou scientifique, celle qui part de l’observation des faits »

et une com­mission du IVe affirmait que « toute conception phi­losophique doit subir l’examen de la raison et la science », en bref, être soumis à l’esprit critique dans le cadre d’une démarche rationaliste. Enfin, cette éducation devait permettre à chacun de s’épanouir dans toutes ses dimensions, celles « de la vie privée, de la vie professionnelle et de la vie sociale et poli­tique ». (3).

Pour conclure, il est possible d’affirmer que la Commune s’inscrit dans un projet éducationniste holiste et émancipateur que l’on retrouvera chez Francisco Ferrer (1859-1909) ou Célestin Freinet (1896-1966) ou encore aujourd’hui à l’école Vitruve, au Lycée autogéré de Paris (LAP) ou encore au lycée expérimental de Nazaire (4).

HUGUES LENOIR

 

Le siège de l’Association Louise Michel à  VRONCOURT LA CÔTE en Haute-Marne, village natal de Louise Michel.
Le siège de l’Association Louise Michel à  VRONCOURT LA CÔTE en Haute-Marne, village natal de Louise Michel.

LOUISE MICHEL ET L’ÉDUCATION

Dans la première partie de sa vie, avant la Commune de Paris, en Haute-Marne d’où elle est originaire puis à Paris où elle s’installa à 27 ans, Louise Michel (1830-1905) fut institutrice, puis directrice d’externat. Elle enseigna également dans une école professionnelle pour filles.

Pour connaître sa vision sur l’éducation et ses méthodes pédagogiques, on ne trouvera pas un essai de sa main sur le sujet, délivrant l’explication limpide de sa pédagogie. Il faut considérer l’oeuvre dans son ensemble. « Pour connaître Louise Michel, il faut donc la lire », nous enjoint Claude Rétat (5). Et Louise Michel fut une écrivaine prolifique. Outre ses Mémoires, son oeuvre se compose de romans, pièces de théâtre, contes et poésies, ainsi que de chansons et d’embryons d’encyclopédies.

TOUT SE TIENT

La pensée de Louise Michel pourrait se résumer dans l’expression : tout se tient. Mathématiques, physique, biologie, astronomie, toutes les sciences sont liées et se combinent en cycles et en gammes. Elle inclut dans ce grand tout la littérature, en par­ticulier les contes et légendes, les arts et les langues. À partir de là, elle anticipe les effets de la révolution sociale, inéluctable à ses yeux, d’où émergera une humanité nouvelle, instruite, frater­nelle, égalitaire, qui vivra en bonne intelligence avec la nature. Dans cette vision de la connaissance, la musique joue un rôle fondamental, en imprimant à l’ensemble rythme, harmonie et nuances infinies.

Bien sûr, on caricatura cette approche parfois abs­conse, souvent exprimée avec lyrisme. En réaction à un article de Louise Michel intitulé Cycles, un contradicteur parla de « pathos philosophico-scienti­fico-emberlifico-littéraire ».

Pourtant cette théorie globalisante de la connais­sance est un courant important qui traverse le XIXe siècle. Elle prend sa source dans la pensée de Charles Fourier (1772-1837) où tout s’ordonne par séries, et où l'association libre des passions humaines, à l’ins­tar de la gravitation universelle, permettrait d'atteindre l'harmonie. Le fouriérisme, forme de socia­lisme utopique, inspirera de nombreux penseurs du mouvement social.

ENFANT LIBRE, ÉCOLIÈRE FRUSTRÉE

Cette forme de pensée trouve aussi ses racines dans l’enfance de Louise Michel. Elle grandit à Vroncourt (Haute-Marne), en bordure de ce petit village, au contact direct de la nature. Elle fut élevée par des grands-parents adeptes des Lumières. La musique et le dessin faisaient partie de son quoti­dien, toute la famille jouait d’un instrument.

Elle baignait aussi bien dans la philosophie des encyclopédistes que dans l’atmosphère des veillées paysannes où se transmettaient les contes et légendes du pays. Enfant « bâtarde » mais libre, elle expérimentait et complétait ses savoirs dans la forêt et les champs environnants. Elle aimait se confron­ter aux éléments, particulièrement rudes dans la région, dont elle avait conscience de tirer la force.

Louise Michel raconte qu’enfant, elle avait volé au Dr Laumont, ami de la famille, une petite encyclo­pédie —

« un volume relié en peau, où il y avait les noms de tout ce qu’on peut apprendre ».

Elle avoua son forfait dans une historiette en prose, Les Méchancetés d’Hélène, en y inventant une punition,

« être condamnée à passer un mois sans autre livre qu’une grosse grammaire ».

Cette anecdote annonce la frustration que Louise Michel subira tout au long de sa propre instruction « officielle », sur les bancs de l’école de Vroncourt mais plus encore au pensionnat de Chaumont, qui la prépara au brevet d’institutrice. La priorité était donnée non pas aux sciences et à la littérature, mais à l’écriture, à la grammaire, au calcul, et pour les filles aux travaux d’aiguille. Ces matières l’en­nuyaient au point qu’elle loupa une première fois son diplôme, alors qu’à la même époque elle enta­mait une correspondance littéraire avec Victor Hugo.

APPRENDRE EN MOUVEMENT

La pensée de Louise Michel et l’éducation qui la forgea laissent deviner ses méthodes pédagogiques. « Tout étant lié », les apprentissages, quel que soit le sujet, étaient abordés par différentes entrées, en utilisant tous les sens de l’élève. Étudier les textes mais aussi écouter l’écoulement de la rivière depuis l’école d’Audeloncourt, sa première classe. Bouger dans la classe, échanger et s’entraider plutôt que d’attendre, immobile et passif, la parole sacrée de la maîtresse.

Dans ses Mémoires, elle raconte quelques bribes des cours qu’elle donna en Nouvelle-Calédonie, aux adultes comme aux enfants. Même si les biographes doutent de la réalité de cet enseignement, ces pas­sages dévoilent les bases d’une méthode générale.

Le mouvement (au même titre que la musique qui rythme le grand tout) est toujours aux fondements de cette pédagogie, mais également la créativité et l’improvisation. Elle explique :

« Il faut, pour les Kanaks des méthodes mouvementées ; n’en faut-il pas pour tout esprit jeune, et nous-mêmes n’apprenons-nous pas plus vite ce qui nous arrive avec des couleurs dramatiques que par des nomenclatures arides ? » ; « L’écriture est apprise comme par intuition ; si, au moyen de lettres mobiles on fait composer les mots, on est tout étonné de voir le pauvre noir écrire très vite les mots convenablement. » ; « La façon la plus rapide de commencer la musique, c’est de faire trans­poser un motif extrêmement facile en ajoutant comme exercice gammes et accords, tantôt plaqués, tantôt en arpèges. Tout cela le plus simplement possible. »

Ces méthodes d’avant-garde perturbent inspecteurs et visiteurs. Clemenceau (1841-1929), à propos de l’école dirigée par Louise Michel à Montmartre, raconte :

« Je ne puis pas dire que cette école était absolument correcte au sens où on l’entend à la Sorbonne [...] On y enseignait à tort et à travers des méthodes inconnues, mais en somme on ensei­gnait... »

LAÏQUE ET FÉMINISTE

Louise Michel gardait une certaine liberté dans ses pratiques car elle resta en dehors du système de l’instruction publique. Elle choisit d’enseigner dans des écoles laïques et libres, où elle n’eut pas à prêter serment à Napoléon III, ni à rendre des comptes au clergé. À cette époque, celle du Second Empire (1852-1870), l’enseignement laïc, porté par des républicains, était fortement empreint d’anticlé­ricalisme, face au pouvoir puissant des religieux dans l’éducation.

À la fin des années 1860, par le biais de la Société d’instruction élémentaire, institution animée, elle aussi, par des républicains laïcs, Louise Michel donna des cours dans une école professionnelle pour filles, rue Thévenot à Paris.

« Quelques poignées de jeunes filles, à peine, y étaient sauvées de l’apprentis­sage et pourvues d’états ou de diplômes, suivant leurs aptitudes, raconte-t-elle ; des artistes en sortirent et nous disions : voici venir la République ».

La rue Thévenot (aujourd’hui rue Réaumur) fut également un lieu de rencontre des cercles féministes. Les gri­settes formées par ces écoles professionnelles, outre le fait de gagner leur indépendance financière, furent le ciment de l’excellence parisienne dans les métiers de la mode.

PROTECTRICE

Enfin, on ne pourrait conclure sans évoquer l’em­pathie et la générosité — parfois pathologique, au grand dam de sa mère — dont fit preuve Louise Michel avec ses élèves pauvres ou indigents.

Charles de Sivry (1848-1900), musicien et beau-frère de Verlaine, informé de sa réputation dans Montmartre, lui demanda un jour de bien vouloir héberger dans son école une enfant des rues trouvée recluse, avec sa mère, sous le « toit à porcs » d’une courette. À la requête de Sivry, Louise Michel répon­dit :

« Monsieur, il y a toujours chez moi de la place pour les pauvres ». Lorsqu’il revint avec l’enfant, à laquelle il avait trouvé des habits propres, elle le tança : « Ce n’était pas la peine, dit-elle, j’ai mon grand châle noir ; voyez, presque toutes mes petites élèves pauvres sont vêtues avec ».

PHILIPPE MANGION

 

 Entrée des enfants dans la salle d'asile Cochin à Nantes
Entrée des enfants dans la salle d'asile Cochin à Nantes

MARIA VERDURE PIONNIÈRE DES CRÈCHES 

Maria Verdure (1849-1878) est connue pour avoir proposé à la Commune un projet novateur d’organisation des crèches.

Nous connaissons assez peu de choses de Maria Verdure. Nous n’avons même pas de photo d’elle. Nous savons qu’elle est née à Saint-Folquin, dans le Pas-de-Calais, le 16 juin 1849 ; qu’elle est la fille d’Augustin Verdure, un fils de paysan, devenu insti­tuteur, révoqué par l’Empire à cause de ses convic­tions républicaines, et de Carole Masson.

La famille émigre à Paris, où Augustin adhère à l’AIT et est élu à la Commune, le 26 mars 1871, par le XIe arrondissement. Membre de la commission de l’enseignement, il est arrêté peu après la fin de la Semaine sanglante et condamné en août 1871, par le 3e conseil de guerre, à la déportation en Nouvelle-Calédonie. Arrivé à Nouméa en novembre 1872, il y meurt moins d’un an plus tard, le 28 avril 1873.

De sa fille Maria, nous savons qu’en 1871 elle est libraire et habite chez ses parents, 8, rue Sainte-Marie-du-Temple (aujourd’hui rue de la Présentation, XIe arrondissement), dans le quartier de Belleville.

Son nom apparaît, dans le Journal officiel du 2 avril 1871, comme membre d’une délégation de la société L’Éducation nouvelle, qui remet aux membres de la Commune un projet pour l’enseignement (6).

« Considérant que la question de l’éducation … est la question mère, qui embrasse et domine toutes les questions politiques et sociales »,

ce texte exprime un certain nombre de revendications de principe, qui inspireront l’oeuvre scolaire de la Commune : école laïque, gratuite et obligatoire pour les enfants des deux sexes ; enseignement fondé sur

« la méthode expérimentale et scientifique, celle qui part toujours de l’observation des faits » ; instruction intégrale, « qui deviendra le meilleur apprentissage possible de la vie privée, de la vie professionnelle et de la vie politique ou sociale ».

Mais c’est surtout pour son projet de réorganisation des crèches que Maria Verdure est connue. Les pre­mières crèches étaient apparues, à Paris, en 1844 (7). Elles avaient pour vocation d’accueillir les très jeunes enfants de 0 à 2 ans dont les mères travail­laient. Jusque-là, les enfants étaient confiés aux « soins mercenaires » de nourrices, ou étaient dépo­sés dans des garderies de l’assistance publique — des « oubliettes modernes » — dans des condi­tions telles que

« sur 100 enfants qu'elles reçoivent, 3 arrivent à l'âge de vingt ans ».

Le projet soumis à la Commune, au nom de la Société des Amis de l’enseignement, par Maria Verdure, Charles Élie Ducoudray (qui deviendra son mari) et Félix Ducoudray, le frère de ce dernier, est publié, en deux parties, dans le Journal officiel des 15 et 17 mai 1871.

La première partie (8) énonce les principes qui devraient fonder l’éducation des enfants.

« Le déve­loppement de l’intelligence est préjugé par la santé de l’enfant. »

Dans l’idéal, l’enfant doit être élevé par sa mère, car

« l’allaitement de l’enfant nouveau-né par sa mère [est], conformément aux lois naturelles et aux observations scientifiques, le seul moyen d’obte­nir des sujets sains et vigoureux ».

À défaut, il importe que, pendant la période de gestation et d’allaitement,

« elle ne se livre à aucun travail de nature à porter atteinte à la santé de son enfant et à la qualité de son lait ». Pour cela, « des réformes éco­nomiques sont nécessaires » : la crèche est, à titre transitoire, « le procédé le moins défectueux pour favoriser l’allaitement maternel et entretenir les liens naturels entre la mère et l’enfant ».

C’est dans la seconde partie (9) que le projet d’organisa­tion des crèches est exposé. Le projet précise d’abord les conditions matérielles qui doivent guider l’organisa­tion des locaux. Les crèches doivent être « disséminées dans les quartiers peuplés d’ouvriers, à proximité des grandes usines », dans des locaux bien éclairés et aérés, et dotés d’un jardin. Chaque crèche regroupe 100 enfants, poupons et nourrissons, et comporte quatre pièces : une pour les poupons, une pour les nourrissons, une pour la salle à manger, une pour la salle de jeux. Le mobilier doit être adapté à la taille des enfants et un promenoir doit leur permettre de déambuler sans les appareils qui déforment leurs épaules :

« La salle de jeux contient tout ce qui peut amuser les enfants ; l’ennui est leur plus grande maladie. Un promenoir à double appui-main règne autour de la table ; on y trouve des jouets de toute sorte, des chariots, un orgue, une volière remplie d’oiseaux ; on y voit, peints ou sculptés : des ani­maux, des arbres, des objets réels et non pas mystiques. »

Enfin, le projet détaille le recrutement et les tâches du personnel. En premier lieu, « qu’aucun ministre ou représentant d’un culte n’est admis dans le personnel ». L’encadrement est étoffé : on doit prévoir 10 personnes pour 100 enfants :

« une directrice, quatre femmes pour les nourrissons, trois pour les poupons, une pour la cui­sine, une pour la lingerie ». Le personnel est polyvalent : « Toutes ces fonctions sont remplies à tour de rôle et de semaine en semaine par celles qui en sont capables. Les gardiennes des nourrissons changent chaque jour entre elles ; un labeur toujours le même dégoûterait ces femmes et les rendrait tristes et maussades. Il importe que les enfants ne soient confiés qu’à des personnes gaies et jeunes, autant que possible. Le costume ne doit pas être sombre, le noir est banni de la crèche. »

Enfin, à une époque où la mortalité infantile reste forte, une réglementation sanitaire est instaurée :

« Un médecin et un pharmacien sont désignés par l’au­torité civile sur la présentation du personnel de chaque crèche. Afin d’éviter les maladies contagieuses, aucun enfant n’est admis sans l’autorisation du médecin. »

On le voit, les préoccupations vont bien au-delà de la simple garderie. Non seulement, on veille sur la santé et le développement physique des enfants, mais on met aussi l’accent sur leur bien-être et sur leur épanouissement, en introduisant ce que nous appellerions aujourd’hui des activités d’éveil.

Nous n’avons pas trace d'un débat de ce projet à la Commune. Compte-tenu de la date — 15 mai, soit six jours avant la Semaine sanglante — ce n’est pas étonnant.

Maria se marie, le 7 novembre 1871, avec Charles Élie Ducoudray. Un mariage éphémère, puisque Charles Élie, après une brève incarcération suivie d’un non-lieu, meurt brutalement le 13 novembre d’une rupture d’anévrisme, alors qu’il rendait visite dans sa prison à Théophile Ferré qui venait d’être condamné à mort. De cette union naîtra quelques mois plus tard un fils, Élie Charles Marius Ducoudray (1872-1902). De son côté, Maria meurt le 23 mars 1878, à Paris (IXe arrondissement).

Plusieurs crèches portent aujourd’hui son nom, dans le Val-de-Marne (Valenton, La Queue-en-Brie).

MICHEL PUZELAT

Références :

Claudine Rey, Annie Gayat, Sylvie Pepino, Petit dictionnaire des femmes de la Commune. Les oubliées de l’histoire, Les Amis de la Commune de Paris / Le bruit des autres, 2013, p.268-269.

Michel Cordillot (coord.), La Commune de Paris 1871. Les acteurs, l’événement, les lieux, Éditions de l’Atelier, 2021, p. 1317-1318.

Le blog de Michèle Audin :

https://macommunedeparis.com/2021/05/14/14-mai-1871-alix-vic­torine-maria-et-les-creches/

https://macommunedeparis.com/2021/05/17/17-mai-1871-le-jour­nal-officiel-publie-la-suite-de-larticle-sur-les-creches/

Notes

(1) Maurice Dommanget, La Commune, Bruxelles, éditions La Taupe, 1971.

(2) La Rue, n°10, 1971.

(3) Déclaration de la société de l'Éducation nouvelle, 26 mars 1971.

(4) Comme les communeux, j'ai retiré le Saint devant Nazaire.

(5) Claude Rétat, Art vaincra ! éditions Bleu Autour, 2019.

(6) Journal officiel du 2 avril 1871. gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k20954565?rk=42918;4

(7) Jean Héritier, « Le jour où l’on mit les enfants en crèche », L’Histoire, n° 67, mai 1984, p. 86-89.

(8) Journal officiel du 15 mai 1871. gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k2095499x/f2.item

(9) Journal officiel du 17 mai 1871. gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k2095501j/f2.item

 

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