« L’AMOUR EST ENFANT DE BOHÈME, IL N’A JAMAIS CONNU DE LOI. »

 

Quelle belle référence à Bizet et sa Carmen ! Bizet dont son amour pas­sionné de la musique à 10 ans va enclencher un processus immortel.

Nous sommes en 1850, la loi Falloux impose une école privée de grande ampleur, les enseignants des écoles communales sont « virés », les écoles normales sont fermées. Les congrégations religieuses sont mises en place. Un instituteur, Pérot, va organiser une réunion pour tenter de sauver l’école publique… et ses collègues. Sur plus d’une centaine à la réunion, ils seront sept à penser qu’ils peu­vent faire quelque chose.

Pauline ROLAND institutrice féministe née en 1805 et morte le 16 décembre 1852 fut l’une des mères du mouvement coopératif français.     Jeanne Deroin(1805-1894) - Philosophe, théoricienne féministe, directrice de journaux « féministes » et animatrice d’associations ouvrières. Rendons femmage à la première femme française à s’être présentée aux élections législatives, contre l’avis de la majorité, en 1849.
Pauline ROLAND institutrice féministe née en 1805 et morte le 16 décembre 1852 fut l’une des mères du mouvement coopératif français./ Jeanne Deroin(1805-1894) - Philosophe, théoricienne féministe, directrice de journaux « féministes » et animatrice d’associations ouvrières. Rendons femmage à la première femme française à s’être présentée aux élections législatives, contre l’avis de la majorité, en 1849.

 

C’est Pauline Roland, suivie de Jeanne Deroin, qui va proposer :

« Si nous ne pouvons, moins encore que les ouvriers, mettre fin à nos souffrances par l'association, pour­quoi, puisque nous nous sommes rencontrés grâce à l'initiative du citoyen Pérot n'en profiterions-nous pas pour examiner ensemble si notre enseignement est bien conforme à ce qu'il devrait être, étant don­nées les aspirations actuelles vers un état social plus équitable, plus soucieux de la liberté de ses membres, plus respectueux de leur dignité, plus vrai­ment égalitaire enfin ? Ne serait-ce pas peut-être le vrai moyen pratique de reconquérir pour nous-mêmes la dignité, l'indépendance et aussi le bien-être auxquels nous avons droit, comme tous, et qui, sans cette rénovation sociale, menacent de nous être enlevés sans remède, vous venez de le constater vous-mêmes ? »

Ces sept vont décider de se retrouver régulièrement. Ils n’ont pas les mêmes idées politiques, ni les mêmes convictions religieuses, mais malgré les « engueulades », l’amitié prend le dessus et ça marche !

Gustave Adolphe Lefrançais, (1826-1880), instituteur, membre de la Commune (1871) - Carjat & Cie , Photographe  (source : © Musée Carnavalet – Histoire de Paris)     Georges Bizet (1838–1875) – Portrait par Étienne Carjat 1875

Gustave Adolphe Lefrançais, (1826-1880), instituteur, membre de la Commune (1871) - Carjat & Cie , Photographe  (source : © Musée Carnavalet – Histoire de Paris) / Georges Bizet (1838–1875) – Portrait par Étienne Carjat 1875

 

Parmi les sept, il y avait aussi les époux Bizet qui avaient amené leur jeune garçon, Georges, char­mant gamin d’une dizaine d’années, qui n'a pas paru s'amuser beaucoup mais qui est demeuré fort tranquille tout ce temps. Il est vite devenu le chouchou du groupe en particulier de Gustave Lefrançais. Et c’est en le regardant pianoter sur la table que l’idée mer­veilleuse est venue : la loi Falloux limite les apprentissages à lire, écrire, compter (avec le système métrique) et à la couture pour les filles, mais les matières principales sont le catéchisme et la lecture des saintes écritures. Aussi, si on veut « faire des enfants des hommes » capables de gérer leur vie en faisant ce pourquoi ils ont des aptitudes, il faut élargir les savoir, faire des apprentissages divers et variés pour que chacun trouve sa voie, comme c’est le cas pour le petit Georges qui aime tant le piano, et à qui les parents ont payé des cours au conservatoire.

Ainsi, le programme du groupe des sept pro­pose :

« Chaque période triennale se compose de trois séries spéciales d'études.

« La première série se rapporte au développement du corps et des sens proprement dits. Le dessin, l'écriture, le chant, la danse, la gym­nastique, l'équitation, la natation, l'escrime et des notions profession­nelles pratiques graduées et suivies de façon que l'élève puisse de lui-même trouver sa vraie vocation.

« La seconde série, ayant en vue de développer le jugement, com­porte l'étude de l'histoire, la littéra­ture, dans ses différentes manifestations, descrip­tives, plastiques et auditives, la philosophie et le droit social.

« Enfin la dernière série, appliquée aux facultés de rapports et de combinaisons, comprend l'étude des sciences mathématiques et naturelles, de la géogra­phie, des langues dites « mortes » et des langues usuelles. »

Cependant, Gustave Lefrançais est arrêté par la police politique de Napoléon III ; il s’exile en Angleterre.

À son retour le groupe est disloqué, Jeanne Deroin et Pauline Roland sont décédées.

Mais « l’amour est enfant de bohème ».

Gustave Lefrançais poursuivra sa route, son pro­jet de vie. Au hasard des réunions plus ou moins clandestines, il fera d’autres rencontres : André Léo, Paule Minck, Maria Deraismes et deviendra leur pierre angulaire pour tenter de construire cette école ambitieuse pour tous les enfants qui trotte dans sa tête depuis presque vingt ans, une école pour garçons ET FILLES ; une école mixte. Ils vont réunir les fonds, remplir toutes les démarches administratives mais cela leur sera refusé :

« Une école ne doit pas être mixte, ni les élèves, ni les enseignants ».

Ils s’obstinent, cherchent.

Enfants à l'école pendant la Commune de 1871
Enfants à l'école pendant la Commune de 1871

 

Sur leur chemin ils rencontrent Édouard Vaillant, Noémie Reclus. Ils conçoivent alors une école des­tinée aux filles avec des cours de comptabilité. Les inscriptions sont faites, l’école doit ouvrir le 25 mai 1871, sauf que…

« L’amour est enfant de bohème », et donne l’im­mortalité.

Beaucoup d’idées, d’actes qui ont été mis en place par la Commune de Paris vont, comme des graines sous la neige, se disperser pour renaître ici ou là.

Cette école rêvée dans des moments de découra­gement a malgré tout pris naissance et s’est pro­longée, développée, grâce à des Pauline Kergomard, Célestin Freinet, Paul Langevin… et toutes celles et ceux qui ont oeuvré silencieuse­ment dans le huis clos de leur classe.

Jusqu’à la fin de sa vie, Gustave Lefrançais se demandera si le petit Georges qu’il a connu est bien l’auteur de Carmen, beaucoup de choses ten­dent à l’accréditer (1). Eugène Pottier dédiera son poème l’Internationale :

« Au citoyen LEFRANCAIS, membre de la Commune ».

COLETTE GODEST  (COMITÉ TRÉGOR-ARGOAT)

 

Note :

(1) Son âge correspond ; ses aptitudes exceptionnelles pour la musique ; en 1870, il s’engage dans la Garde nationale et ne reviendra à Paris qu’après la Commune.

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