QUELLE INTERNATIONALE !

Elise Thiébaut, Les fantômes de l'Internationale.

L’émotion due à un chant, un hymne ! Chacun, ému, se rappelle la première fois où il a entendu cet appel à l’espoir, à un monde nouveau, à la justice sociale. Dans une manifestation, une AG, plus rarement sur une barricade. Il vient de loin, il enfle, il occupe la rue et, quand c’est à Paris, sur les pavés parisiens, c’est encore plus beau, c’est l’écho de la Commune. Les dessins de Baudouin donnent forme et vie à ces mots, « Debout les damnés de la terre », ceux des usines ; ils forment un cortège, un peuple. Très belle, cette bouche qui crie sa révolte et invite « Nous ne sommes rien, soyons tout ! ».

Élise Thiébaut propose une approche personnelle de sa rencontre avec L’Internationale et Eugène Pottier. Né en 1816, pas vraiment prolétaire, issu de famille modeste, celui-ci est passionné par la versification, admire Béranger, le grand poète populaire de ces temps, rejoint la « Société des buveurs d’eau », fréquente les goguettes et participe à la Révolution de 1848. Rapidement, il s’essaie aux chansons pacifistes, tout en créant une petite entreprise de dessin et peinture industrielle qui se développe sereinement.

Mars 1871 le voit élu maire du IIe arrondissement. Il participe à la création de la Fédération des artistes avec Courbet, Daumier, Dalou, Manet, qui a pour but « la libre expansion de l’art, dégagée de toute tutelle gouvernementale et de tout privilège ». Après la Semaine sanglante, caché dans Paris, traqué par une des répressions les plus sanglantes, il met la dernière main au chant qui va conduire, sur tous les continents, des femmes et des hommes vers la conquête d’une république démocratique et sociale, l’idéal de la Commune de Paris. Élise Thiébaut nous montre que les termes et les thèmes de L’Internationale existent déjà dans d’autres textes, la versification fait partie des modes de communication, de propagande du peuple. Pottier s’enfuit hors de France, puis revient après l’amnistie, publie quelques chants révolutionnaires, mais ne connaîtra pas la gloire de son chant. Il meurt en 1887 et ses obsèques seront violées par les forces de l’ordre. La mise en musique de L’Internationale par Pierre Degeyter est une autre légende.

Elise Thiébaut, Les fantômes de l'Internationale.

Lisez les strophes de ce chant, de notre chant, elles en appellent à toutes les sensibilités du mouvement ouvrier et socialiste. Les républicains, les socialistes, les anarchistes, les blanquistes, les communistes, « Il n’est pas de sauveurs suprêmes, Ni Dieu, ni César, ni tribun, Producteurs sauvons-nous nous-mêmes ! ».

FRANCIS PIAN

Baudoin et Elise Thiébaut, Les fantômes de l’Internationale, Éd. La ville brûle, 2019

 

LES COMMUNARDS DU CHER

Jean-Pierre Gilbert, 1871 la Commune et les communards du Cher, préface de Michel Pinglaut, avec le soutien des Amis berrichons (et berrichonnes)

Tous les lecteurs de ce bulletin connaissent l’œuvre de la Commune de Paris. Régulièrement, de nouvelles informations élargissent le cercle des connaisseurs. Mais nous le constatons tous les jours, dans la mémoire collective des Français, il n’en existe qu’un vague écho, car on n’apprend presque rien sur la Commune à l’école. Alors, pour ce qui est des communards du Cher, pensez donc…

Même en Berry, peu savent que c’est Gabriel Ranvier qui a proclamé la Commune le 28 mars. La fleuriste de son bourg natal, Baugy, confondait Semaine sanglante et Saint-Barthélemy. C’est au Vierzonnais Edouard Vaillant qu’on doit l’école gratuite, obligatoire et laïque. C’est Félix Pyat qui présente le décret de séparation de l’Église et de l’État. Charles Gambon, né à Bourges (1) fut un communeux de premier plan. Des rues de nos villes et des écoles, heureusement, portent leurs noms. Mais qui connaît Emmanuel Delorme, les frères Okolowicz, Eugène Baudin, Jean-Baptiste Chardon ? Il faut citer les parfaits méconnus, comme Gervais Bourdinat, Joséphine Bergé, Henri Foucher, Michel Limousin… Tous ces anonymes ont été des acteurs du soulèvement ou ses soutiens dans le Cher.

C’est en pensant à eux qu’est venue l’idée de faire ce livre, pour les nommer, dire leur village d’origine, leur donner une place dans les mémoires. On l’a fait pour les poilus de 14-18, pourquoi pas pour les communeux qui furent nombreux à vivre leur rêve jusqu’à en mourir ? Le lecteur découvrira peut-être que l’un d’eux est son ancêtre ?

210 notices biographiques de communeux du Cher (avec leur état-civil), constituent le principal du livre, 1871 La Commune et les communards du Cher, avec rappel du contexte historique, résumé des évènements, les actes de soutien dans le Cher. Des textes et documents de l’époque, 60 portraits et illustrations, complètent l’ouvrage. Pour le 150e anniversaire, c’est le moment de retenir ce livre ! Il complétera celui du regretté Jean Chatelut (Limousin, Marche, Berry) (2) et les textes des conférences de Jean Annequin sur l’Indre ainsi que les publications du comité creusois (3).

L’auteur, Jean-Pierre Gilbert, membre de l’association, anime un site informatique : Gilblog. Dès 2016, il a présenté les ouvrages de Jean-Marie Favière sur Edouard Vaillant. De mai 2019 à mai 2020, Gilblog a présenté des natifs du Cher : Gabriel Ranvier, Charles Gambon, Joséphine Bergé, jeune Berrichonne de Santranges, une oubliée de l’Histoire, Jean-Baptiste Chardon, chaudronnier à Vierzon, capitaine et communeux, Eugène Baudin, Vierzonnais, député du Cher proche de Vaillant, céramiste renommé, Henri Foucher, henrichemontais, prisonnier sur un ponton de Rochefort en 1871, Félix Pyat, dramaturge aussi réputé que Victor Hugo, l’aventure de Michel Limousin, jeune Berrichon, déporté en Nouvelle-Calédonie, deux chroniques sur Emmanuel Delorme, chansonnier, qui a écrit une première Internationale, le don singulier du déporté Gervais Bourdinat à sa ville natale Bourges.

JEAN-PIERRE GILBERT ET MICHEL PINGLAUT

Jean-Pierre Gilbert, 1871 la Commune et les communards du Cher, préface de Michel Pinglaut, avec le soutien des Amis berrichons (et berrichonnes). L’Alandier, livre broché, format 15 x 21, 190 pages, 60 illustrations. Parution : automne 2020. Consulter gilblog.

(1) Charles Ferdinand Gambon, né à Bourges, le 19 mars 1820 (bicentenaire célébré dans le Cher par notre comité local).

(2) Jean Chatelut, La Commune de Paris 1871, avec les ouvriers maçons des confins Berry, Marche et Limousin, Payse éditions, 2016.

(3) Comité local de la Creuse, Les cahiers des migrants creusois dans la Commune de Paris 1871. Éditions Atelier et Vie aux Coudercs, 2019.

 

AU CŒUR DES COMBATS

Alix Payen, C’est la nuit surtout que le combat devient furieux. Une ambulancière de la Commune, 1871.

Ils furent des milliers, des inconnus, femmes et hommes, composant la population parisienne, à se mobiliser pour défendre Paris et une République démocratique et sociale, la Commune. Il est toujours intéressant de lire les documents écrits dans le vif de l’action pour comprendre l’esprit des acteurs, des témoins. Plutôt que des mémoires écrits à postériori, les lettres livrent les sentiments, les enthousiasmes, les inquiétudes de leurs auteurs. Michèle Audin nous présente les échanges épistolaires d’Alix Payen, 29 ans, plutôt bourgeoise, qui s’investit comme infirmière auprès de son mari dans le 153e bataillon de la Garde nationale pendant les combats, dont ceux du fort d’Issy.

Pour défendre Paris.

Rien ne la prédispose à un tel engagement, bien qu’elle soit issue d’une famille républicaine, opposée à l’Empire, fouriériste en lien avec la Colonie de Condé-sur-Vesgre, près de Rambouillet. Les membres de cette famille montrent des sentiments contrastés à l’égard de la Commune, à l’instar sans doute de la population parisienne. La mère critique la confusion dans l’organisation de la Commune, mais soutient sa fille et son gendre dans leur engagement. Le père, resté dans la communauté fouriériste, fait état d’un climat de fête et de danse, d’insouciance, alors que la Semaine sanglante est engagée. Il est à noter que le courrier passe entre Paris et la province, via le bureau de poste de Saint-Denis. Pour contrebalancer les rumeurs diffusées par les versaillais, Alix Payen relève, le 10 avril : « J’entends dire que l’on fait courir en province les bruits les plus effrayants sur Paris qui est pourtant très tranquille et qui n’a encore rien pillé ni tué, quoi qu’en disent les versaillais ».

Entre Issy et Vanves.

À compter du 16 avril, les lettres décrivent les combats autour du fort d’Issy et de la gare de Clamart. Décidément, combien de femmes furent présentes sur ces lieux ! Sous la mitraille versaillaise, la pluie, dans le froid humide d’une fin d’avril, elle parvient à entendre le chant nocturne d’un rossignol dans ces champs entre Issy et Vanves. Ses lettres deviennent de plus en plus ardentes, le combat, la violence des assauts poussent au courage et à l’abnégation pour sauver un blessé étendu entre les tranchées, en évacuer d’autres.

Elle s’engage sur Neuilly, et une de ses lettres dénonce le bombardement systématique des maisons par les canons versaillais du Mont-Valérien. Destruction qui sera ultérieurement attribuée à la Commune. Pendant la Semaine sanglante, son mari blessé meurt du tétanos. Heureusement, elle pourra être évacuée sur la Colonie de Condé-sur-Vesgre et échapper aux fusillades telles que décrites par Victorine Brocher, sa sœur de combat.

FRANCIS PIAN

Alix Payen, C’est la nuit surtout que le combat devient furieux. Une ambulancière de la Commune, 1871. Écrits rassemblés et présentés par Michèle Audin, Libertalia, 2020. 

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