CAHIERS D’HISTOIRE :  « LA COMMUNE EST VIVANTE »

Cahiers d’Histoire, revue d'histoire critique, n° 148, janvier-février-mars 2021

 Cahiers d’Histoire, revue d'histoire critique, n° 148, janvier-février-mars 2021

Le premier numéro trimestriel 2021 des Cahiers d'Histoire est titré « La Commune est vivante ».

On y découvre encore aujourd’hui, une intensité de thèmes, d’actions, d’applications malgré sa courte durée. C’est un hommage que de montrer les traces qu’elle a laissées par ses personnalités exception­nelles, ses engagements, ses réali­sations. C’est un dossier bien rempli avec l’intervention d’éminents spé­cialistes de La Commune. Les arti­cles conçus par Frank Noulin et Jean-François Wagniart donnent un éclairage sur les luttes actuelles, les formes d’expression diverses de l’engagement — par le théâtre, la lecture des murs, les espoirs et les formes nouvelles de constructions sociales. À consulter car on y découvre un nouveau regard sur La Commune.

MAGUY ROIRE

 

 

JAURÈS SUR  LA COMMUNE

Jaurès sur la Commune, présentation de Gilles Candar, éditions D’ores et Déjà, Paris 2021

 Jaurès sur la Commune, présentation de Gilles Candar, éditions D’ores et Déjà, Paris 2021

Gilles Candar, historien, spécialiste des XIXe et XXe siècles, propose une sélection judicieuse de textes de Jean Jaurès (1859-1914) relatifs à la Commune de Paris, ce qui per­met de suivre l’évolution de la réflexion et de l’action de Jaurès inspirées par la Commune.

À 11 ans en 1871 et évoluant dans un milieu de tradition bourgeoise à Castres, Jaurès est loin de Paris et de sa Commune. La lecture de Zola s’inscrit dans son environne­ment culturel à l’époque. Plus tard, il comprendra mieux la Commune avec P.-O Lissagaray (1838-1901) qu’il rencontre dans les luttes républicaines et qu’il lit attentive­ment au début des années 1890. Il en parle dans Le Matin du 10 juin 1896. Dans le mouvement socia­liste, Jaurès a largement l’occasion de parler avec d’anciens commu­nards, nombreux dans son entou­rage. Candar évoque le typographe Jean Allemane (1843-1935) et, naturellement, Édouard Vaillant (1840-1915) qui deviendra l’autre dirigeant de la SFIO.

Jaurès aura naturellement l’occa­sion d’écrire sur la Commune. Il parle de la Montée au Mur de mai 1898 et de la dimension interna­tionale de la Commune, de l'inter­vention de Vaillant sur la Commune et le socialisme au bal des Mille-Colonnes, 20 rue de la Gaité, le 18 mars 1900, et de Charles Longuet (1839-1903) sur Marx et la Commune dans Le Mouvement Socialiste de janvier 1901.

Jaurès écrira en faveur de la Commune à sa façon, notamment dans le numéro spécial de L’Humanité pour célébrer l’anniversaire de la Commune le 18 mars 1907 et dans lequel il souligne l’audace et l’espoir, la dignité et la force qu’apporte la Commune à la classe ouvrière fran­çaise. En 1908, Il poursuit avec une lecture élogieuse et critique du livre de Louis Dubreuilh (1862-1924) sur la Commune.

Ce petit livre de 90 pages se ter­mine par des « rayons et des ombres », c’est-à-dire le dévelop­pement des combats de la classe ouvrière du monde entier. Mais Jaurès annonce aussi le danger d’un conflit international dans le même numéro de L’Humanité du 26 mai 1912.

MARC LAGANA

 

 

LES ARCHIVES DE MAXIME VUILLAUME :  UN LIVRE RÉFÉRENCE

Jean Baronnet, Les Archives de Maxime Vuillaume, éditions Nicolas Malais, Paris 2021

 Jean Baronnet, Les Archives de Maxime Vuillaume, éditions Nicolas Malais, Paris 2021

Jean Baronnet, réalisateur, n’est pas un inconnu des amis et pas­sionnés de la Commune. Entre autres, son film Une journée au Luxembourg (1), déjà tiré de Mes Cahiers rouges de Maxime Vuillaume (1844-1925), illustrait la répression et les exécutions sommaires perpé­trées dans le jardin parisien lors de la Semaine sanglante. Son livre Regards d’un Parisien sur la Commune (2) pré­sentait le précieux fonds des photo­graphies d’Hippolyte Blancard (1843-1924).

Cette édition, annotée et com­mentée, des archives de Maxime Vuillaume, est le fruit d’un travail de plus de dix ans. Les documents avaient été confiés à Jean Baronnet par la famille de son ami Patrick Camus, cinéaste et arrière-petit-fils de Vuillaume. Avant le décès brutal de ce dernier, ils avaient ouvert ensemble les deux malles de documents « qui gisaient dans le grenier familial ».

Maxime Vuillaume, rédacteur du journal Le Père Duchêne pendant la Commune, avait entrepris, dès son exil en Suisse, la récolte de témoi­gnages et l’élaboration de notes personnelles d’une grande préci­sion, en vue d’une publication de l’histoire de la Commune. Il en résultera la publication, à partir de 1908, de Mes Cahiers rouges, à la fois témoignage et essai. Durant quarante années, le journaliste et acteur de la Commune accumulera la documentation nécessaire à son oeuvre.

Le travail effectué par Jean Baronnet est remarquable. Les archives, constituées de corres­pondances et de notes, sont regroupées en deux périodes, pen­dant l’exil des communards et après l’amnistie. La première partie nous immerge dans la vie des pros­crits à Londres et en Suisse, leur activité politique, l’ennui parfois, leurs amitiés autant que leurs riva­lités. La seconde partie nous plonge dans les « enquêtes » que Vuillaume a menées, catégorisées par thèmes. Il avait retrouvé et interrogé des témoins directs des événements. Ainsi nous revivons l’affaire de la Villette (14 août 1870) ou la fusillade de l’Hôtel de Ville (22 janvier 1871). Les notes d’interview sur la mort de Varlin ou l’exécution de Millières sont d’au­tant plus saisissantes, car rédigées dans un style télégraphique sans effet, faisant écho aux atrocités bien actuelles de Marioupol ou Boutcha.

Ce livre-document est un outil pré­cieux pour tous les chercheurs qui travaillent sur la Commune et ses acteurs, à introduire dans toutes les bonnes bibliographies.

PHILIPPE MANGION

Notes

(1) Jean Baronnet, Une journée au Luxembourg, film long-métrage couleur 1994, France (50mn).

(2) Jean Baronnet, Regards d’un Parisien sur la Commune, Photographies inédites de la Bibliothèque historique de la Ville de Paris. Gallimard, Paris bibliothèques 2006

 

 

DES OUBLIÉS DE L’HISTOIRE : LES COMMUNARDS EN NOUVELLE-CALÉDONIE

Yannick Lageat, Des oubliés de l'Histoire : Les Communards en Nouvelle-Calédonie. Vous pouvez vous procurer ce livre auprès de l'association (amis@com­mune1871.org)

Yannick Lageat, Des oubliés de l'Histoire : Les Communards en Nouvelle-Calédonie.

Hommages et souvenirs. C'est une somme gigantesque que nous livre Yannick Lageat sur ces oubliés de l'histoire que furent les commu­nards en Nouvelle-Calédonie. Une somme très complète et d'une ter­rifiante précision, tant géogra­phique que sociologique ou poli­tique.

L'auteur fait revivre dans un essai (ou une monographie) à l'écriture soignée et incisive, au style par­fait, une page sombre de notre his­toire, la souffrance et l'espoir de ces milliers d'exilés aux antipodes.

Déportés politiques ou transportés de droits communs, ces femmes et ces hommes, bannis et condam­nés, étaient susceptibles de repré­senter une menace pour le nouvel ordre social et religieux voulu par Thiers.

Fin de la Commune, début de l'ex­piation. De 1872 à 1880, date de l'amnistie, la colonie pénale ultra-marine de Nouvelle-Calédonie sera le refuge et le tombeau, la peine et le chagrin, de milliers de proscrits qui, de près ou de loin, étaient attachés aux valeurs et idéaux d'une République sociale.

Grâce à une recension exhaustive des faits et des condamnations, un calendrier très précis des logiques de déportation et des législations répressives, un recueil de témoi­gnages et de correspondances, enfin une analyse détaillée des lieux de l'expiation, Yannick Lageat nous livre un étonnant récit de l'abomination. A côté des figures connues et tutélaires dont Louise Michel (la viro major selon Victor Hugo, « plus grande qu'un héros ») et Nathalie Le Mel, aussi bien Jean Allemane et Henri Rochefort, ils furent des milliers, humbles et sans grade, à tenter de vivre (ou de sur­vivre) entre espoirs et résignations. Entre rêves d'amnistie, repentirs (il y en eut) et intransigeances.

L'essai de Yannick Lageat est un émouvant témoignage sur des témoignages, sur ce qu'étaient ces femmes et ces hommes, la façon dont ils vécurent après les défaites, ce qu'ils espérèrent et ce que furent leurs rêves. A cet égard, les deux morts et enterrements de Pierre Malzieux (1828-1882) et Gustave Maroteau (1849-1875), nous les citons aussi, que l'auteur magnifie, représentent de manière exemplaire une telle combinaison des sentiments : deuil, tristesse, accablement et rêves, espoirs et fidélités.

Après lecture, nous n'oublierons pas de sitôt ces destins personnels rapportés à une histoire collective, de la Semaine sanglante de 1871 à l'amnistie et le retour des exilés, en passant par la claire étude de l'insurrection kanak de 1878. Quand la grande Histoire se meut et se rêve, de violences en convul­sions et d'actes de courage en élans de solidarité.

Nous devons, et c'est tout le mérite de cet essai, encore et tou­jours, « entendre le murmure de tant d'âmes étouffées » (Michelet) et l'espoir de ceux dont « la vie appartient à la Révolution » (Louise Michel) et à la République sociale.

JEAN-ÉRIC DOUCE

 

 

DESSINER LA COMMUNE

Éloi Valat, Dessiner la Commune, éditions Bleu autour, 2021

 Éloi Valat, Dessiner la Commune, éditions Bleu autour, 2021

D’abord on feuillette les dessins une première fois, laissant glisser rapidement les pages sous son pouce, comme on le ferait des flip-books de notre enfance. À cette vitesse, on ne voit que des entre­lacs de traits noirs, nerveux. Les fonds sont blancs, sauf quatre dou­bles pages d’un rouge Commune, placées à égale distance comme des marques de changement de bobines.

On revient à la couverture, plus orangée. Là, un visage masqué, mys­térieux. Une sphère sans regard, mais non sans charme. En pochoir de street-artiste, on l’identifierait ins­tantanément. Enrubannée, comme pour se planquer. Ou se protéger de la fumée. Une pétroleuse ?

Ayant amassé assez de questions, on se lance dans la lecture pour y chercher des réponses. Et là, sur­prise ! Par l’insertion de textes soi­gnés, poétiques, l’auteur dévoile ses intentions, révèle ses motifs. Les dessins s’impriment alors diffé­remment sur la rétine. Les soldats versaillais, alignés comme des machines tueuses, les corps cassés, suppliciés, les canons explosés, les animaux faméliques, égarés, tout s’entremêle pour nous laisser une impression dominante, celle de la mort, du massacre fait aux vaincus.

Les visages connus, icônes commu­nardes comme traîtres de la Défense nationale, sont représentés sans yeux, comme des spectres. Des corps enchevêtrés on distingue avant tout les mains et les pieds, aux doigts raidis, tordus, hypertro­phiés, témoins de la lutte à mort.

L’auteur pousse sa science jusqu’à nous proposer un chemin à suivre, par quelques renvois à des pages éloignées, passées où à venir. Un dessin en explique un autre, devant lequel nous étions passés sans com­prendre. Nous anticipons sur d’au­tres, devant lesquels nous repasse­rons en connaisseur. La lecture n’est plus linéaire, elle devient exploratoire.

Dessiner la Commune est un livre où il faut se laisser guider, faire tom­ber ses repères et ses barrières. On ne l’apprécie que mieux et certaines images restent longtemps dans nos pensées.

PHILIPPE MANGION

 

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