Les cours d'été auraient dû reprendre à la Faculté de médecine de Paris le 27 mars 1871. Ils sont ajournés « sine die ». Pourtant Paris a besoin des étudiants en médecine pour pallier le manque de praticiens en ce temps de guerre.
Le gouvernement de la Commune prend rapidement conscience de l'importance du bon fonctionnement de cette école à la fois académique et professionnelle qui permet de former ceux qui pourront assurer cette présence.
Mais les professeurs n'y sont plus présents, ou ne donnent que très peu de cours. Les examens attribuant les grades médicaux n'ont plus lieu. En fait, depuis quelques semaines la faculté sert plus de lieu de réunions que de site d'enseignement.
Aussi la Commune décide en avril qu'il faut non seulement trouver les moyens de rouvrir les cours mais également de réformer l'enseignement médical.
Mais toutes ses tentatives vont échouer.
En ce qui concerne les cours, pour leur réouverture, il est nécessaire de trouver un nouveau doyen à la faculté. Le doyen Charles Adolphe Wurtz (1817- 1884) est parti pour Versailles au tout début avril sur ordre, dit-il, du recteur de l'Académie. La Commune fait alors appel à Alfred Naquet (1834-1916) (1).
Mais Naquet, ne remonte pas à Paris pour prendre le décanat (2). La Commune aurait alors pensé à deux autres doyens possibles. Tout d'abord Pierre Adolphe Piorry (1794-1879), professeur retraité de clinique médicale (3). Enfin, le troisième doyen pressenti est le père Dupré (4). Il est engagé dans les réformes que Vaillant veut instituer auprès d'un certain docteur Rambaud et de Paul Reclus jeune frère d'Élisée et d'Élie. Mais Dupré refuse. Personne ne veut diriger la faculté de médecine et son enseignement.
Puisque la faculté reste sans organisation, Édouard Vaillant décide de reprendre la décision votée le 17 avril, juste avant sa prise de fonction, qui consiste à laisser aux médecins, professeurs et étudiants eux-mêmes le soin de réorganiser cet enseignement avec la liberté d'en modifier les structures. Afin d'engager ces changements, la Commune charge les professeurs et docteurs Dupré, Rambaud et Reclus d'être les porte-parole des choix de la communauté médicale (5). Pour connaître les souhaits de cette communauté, les professeurs libres, les étudiants et enfin les docteurs de chaque arrondissement de Paris doivent élire le 22 avril leurs délégués représentants afin que ceux-ci se réunissent le lendemain 23 avril. Cinq cents élèves se réunissent dans le grand amphithéâtre et, refusant l'ingérence de la Commune dans l'enseignement médical, décident de ne pas élire leurs délégués. De leur côté, ni les docteurs, ni les professeurs libres ne se sont réunis. Devant un tel échec, Vaillant abandonne la question de l'enseignement à la Faculté de médecine.
On peut largement supposer que la cause de cet échec de la Commune face à l'École de médecine est en grande partie due aux contraintes d'une guerre civile. Comment nommer un nouveau personnel et réformer un enseignement en quelques jours seulement ? Une réforme de l'enseignement médical réfléchie par tous les représentants du corps médical, étudiants compris aurait pourtant dû recueillir toutes les voix, puisqu'elle était demandée depuis longtemps et notamment durant le premier congrès international des étudiants de 1865. De plus, la Commune rencontre de nombreux sympathisants parmi les anciens étudiants qui ont mené une véritable opposition à l'Empereur. On peut citer Regnard, Rey, Jaclard, Lafargue étudiants en médecine qui ont eu un rôle certain sur la vie quotidienne de cette École et de son enseignement sous l'Empire. Un deuxième point étonnant est que la Commune fasse appel aux professeurs libres. Le projet de loi pour la liberté de l'enseignement supérieur qui faillit être voté en juin 1870 ne tendait qu'à élargir la loi Falloux au supérieur. Le manque de moyens de l'enseignement officiel ne lui donnait aucune chance de survie face à un enseignement privé dans une société où seule la classe économiquement bourgeoise parvenait aux études supérieures. Que la Commune ne remette pas en cause cette loi et qu'elle fasse appel aux représentants de cet enseignement privé pour rouvrir un enseignement public reflète un réel manque d’assurances quant aux devenirs des tentatives menées pour réformer cette institution plusieurs fois centenaire !
Les cours ne reprendront dans ses locaux qu'après la Commune, le 12 juin 1871, avec son doyen Wurtz revenu de Versailles dès la fin de la semaine sanglante...
NATALIE PIGEARD
Notes
(1) Alfred Naquet, agrégé de la Faculté de médecine, est depuis les élections du 8 février député du Vaucluse. Il refuse l'Armistice et ne reconnaît pas le gouvernement de Versailles. Il est un républicain radical connu et reconnu depuis ses deux arrestations sous l'Empire : la première comme organisateur avec Accolas du congrès de Genève en 1867 ; la deuxième pour son livre Religion, propriété, famille qui le déchoit de ses droits d'enseignant.
(2) Il faut dire que Wurtz est son maître en chimie, dans le laboratoire duquel il a fait toutes ses études, et surtout où il trouvait refuge après chacune de ses arrestations. Il faut ajouter que Naquet est un des premiers députés à demander l'amnistie des Communeux en 1876.
(3) Il est vrai que Piorry est sur les lieux, qu'il est réputé comme rebelle aux conventions et préjugés, et qu'il a combattu la théorie vitaliste qui place le «principe vital» et parfois l'âme au cœur de la médecine. Pourtant, Piorry est aussi connu pour ses poèmes aux louanges de Dieu et comme peu enclin a quelque parti politique que ce soit. Ce choix reste donc une énigme.
(4) Simon Jules Dupré (1814-1883), appelé familièrement «le père Dupré». Professeur libre d'anatomie à l'École pratique de médecine. Le père Dupré représente non seulement les professeurs libres de l'enseignement supérieur dont la Commune a besoin pour rouvrir les cours, mais il est surtout très apprécié des étudiants pour son excentricité.
(5) Maitron, Jean (1910-1987), Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français [Ressource électronique, CD Rom], article : Dupré.