Si les musées du Jura ont consacré des expositions à Auguste Lançon (1836-1887) dont la dernière au musée de Nuits-Saint-Georges en mai-octobre 2018, aucune n’a eu lieu à Paris depuis plus d’un siècle.

La présidente de La Société d’Histoire et d’Archéologie du XIIIe arrondissement, Maud Sirois-Belle, en collaboration avec Gérard Cosnard qui a créé le site paris-treizième (paris-treizieme.fr) et moi-même, avons pré­senté au mois de novembre dernier, 74 gra­vures originales ou reproduites de l’artiste (notamment grâce aux Archives municipales de Saint-Claude et au musée Carnavalet) à la mairie du XIIIe arrondissement.

Beaucoup de gravures sont tirées des périodiques L’Illustration et Le Monde illustré dans lesquels Lançon a dessiné pendant toute sa carrière. Un article sur cet artiste a déjà été publié dans La Commune. (1)

Nous rappellerons quelques informations : né en 1836 à Saint-Claude dans le Haut-Jura, il est le fils unique d’un père modeste menuisier. Il devra arrêter ses études après la classe de 3e pour gagner sa vie comme ouvrier lithographe. Passionné par le dessin, il réussit le concours à l’École des Beaux-Arts de Lyon en 1853 puis continue ses études artistiques à Paris. À partir de 1860, il devient illustrateur pour plusieurs journaux. Rebuté par l’enseignement acadé­mique, il admire Millet, Delacroix, Corot, Courbet et aussi le sculpteur Barye qui va beaucoup l’influencer comme graveur anima­lier.

 Auguste Lançon - Les Pauvres au coin de la rue de la Santé, en 1869  (source : © Musée Carnavalet, Histoire de Paris)
Auguste Lançon - Les Pauvres au coin de la rue de la Santé, en 1869  (source : © Musée Carnavalet, Histoire de Paris)

La guerre de 1870 et le siège de Paris

Dès que la guerre avec la Prusse éclate, fer­vent patriote, Lançon s’engage dans une des ambulances de la presse qui intervient sur le terrain pour porter les premiers soins aux bles­sés et les transférer vers les hôpitaux. Sa tâche accomplie, il envoie quotidiennement ses des­sins à L’Illustration et au Monde illustré. Théophile Gautier (1811-1872) va être très impressionné par la modernité et le réalisme de ces dessins. Dans L’Illustration du 19 novembre 1870, il écrit :

« Ce sont de rapides croquis, dessinés d’après le vif sur un carnet de voyage, par un brave artiste (…) C’est la vérité dans son horreur imprévue, dans sa sinistre bizarrerie. De telles choses ne s’inventent pas. »

Après la capitulation de Sedan, Lançon entre dans la Garde nationale comme sergent conti­nuant à faire de nombreuses gravures du siège de Paris dans lesquelles il montre les condi­tions de vie pénibles des Parisiens : difficultés d’approvisionnement, bombardements, refuge dans les caves.

Auguste Lançon - Les prisonniers de la Commune à Versailles 

La Commune de Paris

Le chroniqueur Émile Bergerat (1845-1923) rapporte que Lançon « était revenu enragé contre l’état-major d’incapables qu’il allait retrouver à Versailles devant Paris et qu’il s’était fédéré tout de suite et dès le 18 mars. » (2)

Effectivement, il s’engage dans la Fédération des artistes et se fait élire en tant que capi­taine d’une compagnie de Fédérés. Bergerat confirme :

« Il est certain qu’il fit le coup de feu aux barricades »

et qu’il est de garde à la Porte de Saint–Cloud le 21 mai 1871, lorsque les troupes versaillaises entrent dans Paris. Fait prisonnier à Passy, il faillit être fusillé. Dans une lettre du 2 janvier 1872 à son ami journa­liste Charles Habeneck (1836-1879), il constate :

« Je dois m’estimer heureux d’en avoir été quitte à si bon marché car pendant quinze jours ma peau n’avait pas grande valeur, ayant été pris les armes à la main. »

Détenu six mois à Satory puis à l’Orangerie de Versailles en compagnie de Courbet, il compa­raît devant le 4e conseil de guerre le 21 novem­bre 1871 et retrouve la liberté.

1872-1873 : les années Lançon

Non seulement L’Illustration et le Monde illus­tré ne lui tiennent pas rigueur de sa participa­tion à la Commune mais encore lui demandent beaucoup d’illustrations. Par contre, au Salon de 1873, un de ses tableaux est refusé pour sa noirceur trop réaliste qui choque les membres du jury.

En revanche, 17 eaux-fortes gravées à partir de ses dessins pour illustrer l’ouvrage d’Eugène Véron, (1825-1889), La troisième invasion, qui paraîtra en 1876, sont reçues avec enthou­siasme. Lançon obtient sa seule récompense officielle, à savoir une médaille de deuxième classe dans la catégorie « gravure ». Les jurys des salons ne furent guère généreux avec lui. Au total, Lançon gravera lui-même dans le cui­vre 154 eaux-fortes totalement originales pour l’édition de luxe de La troisième invasion. Toujours aussi consciencieux, il est retourné sur les lieux des combats de la guerre de 1870 pour vérifier l’exactitude des paysages. Mais, à côté de ses deux thèmes favo­ris, les scènes militaires et ani­malières, il va élargir son palette.

Auguste Lançon - Les derniers vestiges de la Fosse-aux-Lions, derrière l'asile Sainte-Anne, 1869 (source : © Musée Carnavalet - Histoire de Paris) 
Auguste Lançon - Les derniers vestiges de la Fosse-aux-Lions, derrière l'asile Sainte-Anne, 1869 (source : © Musée Carnavalet - Histoire de Paris)

Paris populaire et pittoresque

Il explore Paris, notamment son quartier, les XIIIe et XIVe arron­dissements — il habite rue Vandamme dans le XIVe — en pleine mutation. Il le parcourt à pied, s’intéressant à ce qui va bientôt disparaître ou qui est déjà en voie de disparition (les dessins de Lançon s’inscrivent souvent dans le thème Paris qui s’en va) : les bords de la Bièvre avec ses mégisseries polluantes et les étangs de la Glacière sur lesquels les enfants et les gens du quartier vont patiner en hiver et où des hommes vont récolter la glace. Il montre les chiffon­niers très nombreux dans le XIIIe avec les derniers vestiges de « la Fosse aux Lions » derrière l’asile de Saint-Anne dans lequel il entre pour dessiner les fous et les folles. Il consacre plusieurs gra­vures à la distribution de la soupe aux indigents par les Capucins, rue de la Santé, au marché aux puces de la porte d’Italie, aux fêtes de banlieue. Il aimait arpenter les quartiers populaires, il se plaisait parmi les ouvriers, trinquant avec eux fraternellement. Lui-même était très accueillant. Le critique d’art Charles Léger (1880-1948) écrit qu’« il tenait volontiers table ouverte non seule­ment pour ses amis mais également pour les infor­tunés qu’il soulageait de son mieux » (3).

La rue à Londres

L’écrivain Jules Vallès (1832-1885) qui s’ap­prête à publier La Rue à Londres propose à son ami Lançon de l’illustrer. Ce dernier accepte et séjourne en Angleterre faisant pour Londres le travail qu’il a réalisé à Paris, en alternant les quartiers pauvres et les quartiers aisés. Éditée par la librairie Charpentier en décembre 1883, cette édition de luxe, tirée à 600 exemplaires, comporte 22 eaux-fortes et 200 dessins. Les eaux-fortes sont admirables. On y retrouve Lançon tant à Paris qu’à Londres. L'ambiance d’un de ses écrivains préférés, Charles Dickens (1812-1870), avec ses lodging­houses et ses workhouses sombres. Van Gogh (1853-1890) a admiré les scènes de rue de Lançon tant à Paris qu’à Londres.

Dans une lettre à son frère Théo, parlant de Lançon il écrit :

« Comme cet homme a du talent ! Récemment j’ai trouvé quelques oeuvres de Lançon. Je me suis relevé la nuit pour les regarder, si forte était l’impression qu’elles avaient produite en moi. »

On a retrouvé dans la collection de Van Gogh 21 gravures de Lançon.

Les trappistes

La même année 1883, il publie à la librairie Quantin de Lunéville, un album composé de dix eaux-fortes consacrées aux trappistes. A ses débuts, il avait déjà dessiné des moines. Ces gravures sont aussi austères et simples que la vie de ces moines. Rien de gratuit, pas de détail superflu. Lançon va à l’essentiel. Il ne s’implique pas personnellement, il ne porte pas de jugement, il se contente de décrire ce qu’il voit. Ses noirs et ses blancs sont superbes. Il observe la vie quotidienne des moines : les prières, le repas pris en commun au réfectoire, la plonge, les divers travaux. Au terme de la publication les cuivres sont biffés.

La dernière année : 1884-1885

Auguste Lançon gravant sur bois, dessin de E. Berveiller (Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 5. Pér. 2.1920  Page: 385)
Auguste Lançon gravant sur bois, dessin de E. Berveiller (Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 5. Pér. 2.1920 Page: 385)

En 1884, Lançon, qui n’a jamais abandonné ses idées politiques, se présente aux élections municipales de Paris dans le XIVe, quartier de Montparnasse sous l’étiquette du Parti républi­cain radical-socialiste. Il est battu de justesse au second tour. Il fut un travailleur infatigable jusqu’au dernier moment.

Diabétique, il meurt prématurément et pau­vre à l’hôpital Necker le 13 avril 1885 à l’âge de 46 ans, laissant dans son atelier une masse de dessins et de gravures (156 pièces seront vendues les 5 et 6 mars 1888 à l’Hôtel Drouot).

Une assistance importante est présente au cimetière Montparnasse lors de son enterre­ment et de nombreux articles lui seront consa­crés dans la presse. En 1976, ses restes seront transférés au cimetière du Père-Lachaise.

Les visiteurs de l’exposition ont été étonnés qu’un artiste tel que Lançon ne soit pas plus connu et ont apprécié la qualité de ses gra­vures. Beaucoup ont été très impressionnés par son talent.

Paul Lidsky

 

Notes

(1) Paul Lidsky, « Auguste Lançon, un artiste méconnu », La Commune, n°68, 2016, p. 28-31.

(2) Émile Bergerat, Souvenirs d’un enfant de Paris, Eugène Fasquelle, Paris, 1911.

(3) Charles Léger, Auguste Lançon peintre-graveur, La Gazette des Beaux-Arts, n°711.

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