Parmi le premier groupe de pontons-casernes affectés au service des insurgés de la Commune on trouve aussi : l’Austerlitz, vaisseau à hélice, 1852-juillet 1872, en rade de Brest du 31 mai 1871 au 20 février 1872 et le Napoléon, vaisseau à hélice, 1850-1876, en rade de Brest du 31 mai 1871 au 28 avril 1872.

Pour dégager les prisons versaillaises surchargées, 20.000 prisonniers sont transférés sur les pontons (méthode déjà pratiquée en 1848).

L'Yonne, vaisseau à hélice (1850-1876), en rade de Brest du 31 mai 1871 au 3 décembre 1871. 
L'Yonne, vaisseau à hélice (1850-1876), en rade de Brest du 31 mai 1871 au 3 décembre 1871.

Les pontons sont de vieux vaisseaux désaffectés. Les Communards sont entassés dans les batteries (emplacement des canons, sur les anciens vaisseaux de guerre). L’espace a été aménagé pour recevoir les prisonniers, logés dans des sortes de cages. Chaque ponton abrite de 700 à 900 hommes vivant dans une quasi-obscurité.

Dés leur arrivée à bord, les détenus sont immatriculés et répartis en escouades de dix hommes. Chaque homme perçoit un hamac et une couverture. Les prisonniers doivent participer aux corvées de bord et assurer la propreté de la batterie.

Les rations alimentaires sont, en principe, celles de la marine : un pain de trois livres pour six détenus, plus une ration de biscuits par escouade ; viande fraîche deux fois par semaine au repas de midi les autres jours, viande de bœuf salée, parfois remplacée par le lard rance ou le fromage de gruyère.

Les pontons - Gardes des insurgés prisonniers - Dessin de Grand ("Le Monde Illustré" du 29 juillet 1871)
Les pontons - Gardes des insurgés prisonniers - Dessin de Grand ("Le Monde Illustré" du 29 juillet 1871)

Les repas sont complétés, nous dit Arthur Monnantheuil, par une mixture sans nom, à base de haricots ou de gourganes (fèves des marais), quel­quefois du riz, le tout assaisonné d’huile de poisson qui empeste le navire [1]

Le manque d’hygiène provoque l’apparition des poux contre lesquels il est très difficile de lutter. Deux promenades par jour sont accordées ; le coucher fixé à 7h30 du soir en été. La discipline est sévère, les punitions cruelles et souvent injustifiées. Le courrier, d’une fréquence limitée, est étroitement surveillé. Les décès sont nombreux (161 sur les pontons, pour l’arrondissement maritime de Brest).

La vie à bord est plus ou moins supportable, selon le comportement des officiers. Sur la « Ville de Lyon » [2], le commandant en second est humain et refuse de consi­dérer les insurgés comme des bagnards. Mais l’atmosphère reste pesante pour les détenus, constamment contrôlés par les marsouins (soldats de l’infanterie de marine), qui n’hésitent pas à tirer au moindre signe de protestation.

On ignore les circonstances de l’arrestation du pacifiste Ernest Fanfernot, détenu à bord du ponton « La Ville de Lyon ». Ce n’est pas un combattant des barricades ; c’est plutôt un conciliateur. Il a été membre de la commission d’initiative, convoquant les vétérans de la République, Place de la Bastille, le 7 mai 1871. [3]

Le but de cette réunion était d’affirmer, moralement et matériellement, le programme posé le 6 avril 1871 par la « Ligue d’union républicaine des droits de Paris ». Étant donné la position conciliatrice prise par Ernest Fanfernot dans le conflit, sa protestation courageuse contre les conditions de vie sur les pontons nous a paru d’autant plus intéressante. [4]

Brest, les pontons, le dortoir - dessin de Grand ("Le Monde Illustr du 29 juillet 1871)
Brest, les pontons, le dortoir - dessin de Grand ("Le Monde Illustr du 29 juillet 1871)

Extraits d’une lettre adressée par E. Fanfernot, détenu à bord du ponton «  La Ville de Lyon  », à Monsieur Jules Simon, Ministre de l’Instruction publique, délégué du gouvernement pour inspecter les pontons [5] :

              Monsieur le Ministre,

(F. Fanfernot rappelle son action dans la guerre contre la Prusse).

(...) Homme de progrès, je songeais à utiliser mon activité, mon patriotisme, et sans tuer mes semblables, je fis toute la campagne aux avant-postes français. Ma jeune fille et moi, nous avons accepté gratuitement la mission d’être délégués à la Convention de Genève (n° d’ordre 1276, 1274).

C’est à ce titre que je viens aujourd’hui appeler la haute attention, la sollicitude de Monsieur le Ministre de l’instruction publique (délégué du gouvernement) sur une quantité considérable de prisonniers agglomérés sur les divers pontons.

Je citerai en première ligne MM. Les médecins, pharmaciens, infirmiers, ambulanciers arrêtés revêtus de leurs uniformes et insignes, eux qui du moins avaient été respectés, jusqu’à ce jour par les Prussiens. Puis, des enfants au-dessous de 15 ans, des vieillards de plus de 60 ans (nous en comptions parmi nous de 71, 74, 76 et même 81 ans) des malades, des infirmes qui tous attendent du gouvernement une justice distributive plus rapide, que leur déplorable situation réclame impérieusement.

Monsieur le Ministre, quand l’Humanité et la civilisation sont en péril, il est du devoir de tout homme de cœur d’élever la voix pour réclamer au nom de tant de victimes innocentes.

Mon intention était de vous présenter ces respectueuses considérations lors de votre arrivée à Brest, si le ponton « La Ville de Lyon » où je suis interné avait été favorisé de votre visite.

(...) Les maladies et la mort pleuvent autour de nous ! Et la mort est toujours la mort ! Monsieur le Ministre, pour être moins rapide qu’aux exécutions sommaires des Buttes Chaumont, de la Muette, de Satory, etc., elle n’en est pas moins certaines pour de pauvres pères, soutiens de famille, dont les veuves et les orphelins attendront en vain le retour au foyer domestique.

Que de malédictions ! Resteront au cœur de ces enfants victimes innocentes, de toute cette jeune génération qui nous suit et doit nous remplacer.

Semer de la haine aujourd’hui, c’est vouloir dans l’avenir récolter de la vengeance.

(...) La postérité flétrira, sans merci, le nom et la mémoire des hommes qui avaient titre et mission pour apposer leurs mains réparatrices sur les plaies sanglantes et les souvenirs douloureux de nos guerres sociales, de nos discordes civiles. (...)

               Ernest Fanfernot (délégué à la Convention de Genève n° 1274)

 

Marcel CERF

Les pontons-prisons des insurgés de la Commune


Notes

[1] Monnantheuil Arthur - Ex-journaliste au Vengeur et à la Commune - « neuf mois de ponton - Paroles d’un détenu  ». Bibliothéque républicaine - A. Sagnier 1873.

[2] La Ville de Lyon - Vaisseau à hélice - 1861-1883 - Au service des pénitenciers 31 mai 1871 - 24avril 1872 - Désarmé après cette mission. PERNNES Roger - Déportés et forçats de la Commune P. 78 - Ouest éditions, Nantes 1991

[3] Murailles politiques - T Il - p. 417. Ed. Le Chevalier 1874

[4] Murailles politiques - Op. cit., p. 197

[5] Archives Guerre - Ly 22.

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